«… les œuvres d’art font sur moi une impression forte, en particulier les œuvres littéraires et les œuvres plastiques, plus rarement les tableaux. J’ai été ainsi amené, dans des occasions favorables, à en contempler longuement pour les comprendre à ma manière, c’est-à-dire saisir par où elles produisent de l’effet. Lorsque je ne puis pas faire ainsi, par exemple pour la musique, je suis presque incapable d’en jouir. Une disposition rationaliste ou peut être analytique lutte en moi contre l’émotion quand je ne puis savoir pourquoi je suis ému, ni ce qui m’étreint. J’ai été, par là, rendu attentif à ce fait d’allure paradoxale : ce sont justement quelques-unes des plus grandioses et des plus imposantes œuvres d’art qui restent obscures à notre entendement. On les admire, on se sent dominé par elles, mais on ne saurait dire ce qu’elles représentent pour nous. Je n’ai pas assez de lecture pour savoir si cela fut déjà remarqué; quelque esthéticien n’aurait-il pas même considéré un tel désemparement de notre intelligence comme étant une condition nécessaire des plus grands effets que puisse produire une œuvre d’art? Cependant j’aurais peine à croire à une condition pareille».

S.Freud, « le Moïse de Michel-Ange » (1914)

 
«L’âme de l’objet le plus commun, sa structure ainsi ajustée nous semble rayonner. L’objet accomplit son épiphanie». «L’épiphanie, c’est le moment où la réalité de la chose vous envahit comme une révélation».
 
J. Joyce, « Stephen le héros « 
 
 
Ce Groupe de recherche participative se caractérise par une organisation du travail dictée par son projet : dans leurs collaborations plurielles, ses participants établissent la série large et ordonnée d’une classe précise de témoignages qui exposent des logiques de crises subjectives, le plus souvent convergents.
La recherche consiste à en établit la collecte et à faire série des modes de survenues de phénomènes intimes et très surprenants pour le sujet : irréductibles dans leur manifestation, ils se présentent comme décisifs, aussi bien pour le destin personnel de qui en témoigne que pour les inventions qui en résultent — concepts, produits, œuvres.
Joyce en est un exemple, lui qui entendait donner du travail aux universitaires pour mille ans peut-être, et qui a témoigné d’une révélation personnelle particulière : elle s’est signalée comme marque réelle et a surgi en lui comme d’une nécessité non argumentative. « Épiphanie » est le mot qu’il avait choisi pour dire la « soudaine manifestation spirituelle » qui s’imposa à lui et comme devant être écrite et faire support de sa production future : « Il incombait à l’homme de lettres d’enregistrer ses épiphanies avec un soin extrême, car elles représentaient les moments les plus délicats et les plus fugitifs1», écrit-il dans Stephen le héros.
Posons que ces « moments épiphaniques » se manifestent comme signes irrépressibles d’une expérience subjective décisive ; qu’ils dessinent une nouvelle valeur au monde, lequel, parfois et comme en retour, vient intégrer et se régler sur ce produit. Les Épiphanies joyciennes seront donc les figures tutélaires de ce Groupe de Recherche, car nous y interrogerons les diverses solutions subjectives profanes de ces moments de vacillation puis de réorientation, et ceci, en articulant ensemble crise épiphanique et produit épiphanique.
 
 
Si l’on sait que les églises chrétiennes ont pu instruire les procès canoniques comme convocation du sacré et de ses marques divines, avec la grâce comme effet, l’on mesure aussi que dès le III ème siècle, elles ont inséré cette épiphanie sacrée dans des rites partagés et œcuménies qui, pour le fidèle, répètent la célébration de la bonne nouvelle. Or, les auteurs que nous étudierons témoignent comme en contrepoint d’une autre polarisation : calée par le singulier de l’évènement non-reproductible, leur expérience ne donne rien à célébrer collectivement, mais elle instaure d’emblée l’obligation pour le sujet de se régler sur ses effets en retour, et ceci sous un double aspect : celui du dépassement actif de la surprise d’une part, et celui de la mesure de sa conséquence dans le monde de l’autre. Ces auteurs parlent toujours, sans doute chacun à leur manière, de ces « déchirements profonds d’un monde attaché à la fois aux philosophes et aux prophètes2 » tels que les décrivait Emmanuel Levinas, qui en faisait le point d’accroche de toute morale inconditionnelle, fondée sur l’épiphanie du visage.
La recherche se donnera donc pour corpus tous les témoignages de ruptures d’habitus subjectifs ; elle s’intéressera aux différentes « crises » dont les décours débouchent sur une invention, donnée ou confiée au monde, quels qu’en soient les contours : œuvre ou concept, esthétique ou scientifique. Une crise sans autre origine que le plus particulier de son point de rupture, mais chargée du destin de l’invention dont elle procède et qui s’incarne dans un réel, irréductible. Une éthique de l’engagement y prévaut là en général, bien plus que le rite de célébration de la grâce.

 

 

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