Dépressions modernes. Cliniques des variétés de l’humeur En France, pays européen fort consommateur d’antidépresseurs, la dépression est au centre des préoccupations en matière de santé mentale. Après un usage médical discret, elle est aujourd’hui toujours plus diagnostiquée, avec un épisode plus ou moins bref et/ou une intensité plus ou moins sévère. Son extension est telle que l’on peut parler d’un phénomène de masse, au point d’en faire le mal caractéristique de notre civilisation. En augmentation constante, les déprimes passagères comme les troubles bipolaires et les différentes formes de burn-out en témoignent à leur manière. De telle sorte qu’il est beaucoup plus approprié concernant ces phénomènes de l’humeur de parler des dépressions au pluriel. Mais quel lien avec l’époque ? En quoi le discours capitaliste (néolibéralisme) et notre société de consommation s’y avèrent-ils impliqués ? Force est par ailleurs de constater que les limites de la dépression sont floues dans les classifications standardisées, si bien que son entité clinique demeure nébuleuse et tentaculaire. Aussi n’est-il pas nécessaire de questionner les différentes cliniques que cette entité recouvre, voire escamote ? Ce colloque international interdisciplinaire en psychopathologie et clinique psychanalytique et ouvert aux autres disciplines entend ainsi questionner le champ de la dite dépression dont l’extension interroge. Cette généralisation des affects dépressifs appelle en effet à se questionner dans ses conditions d’émergence et de diffusion (sociale et politique), aussi bien dans ses soubassements et ressorts subjectifs, que dans ses incidences psychopathologiques. En effet la déprime d’aujourd’hui semble résulter, faute de se réaliser, du fantasme d’unicité qui règne désormais en maître depuis la chute des discours porteurs d’idéaux au profit de la montée au zénith social de l’objet, que J. Lacan nommait objet a. À l’époque de l’Autre qui n’existe pas, au temps de l’individualisme démocratique de masse, les exigences narcissiques du développement personnel et son lot de diktat, la marchandisation du deuil, les protocoles et accréditations du maître moderne, etc., nécessitent à cet égard d’être examinés pour questionner l’accroissement des affects dépressifs dans la clinique contemporaine. Surtout, il semble nécessaire d’interroger les déterminations subjectives de l’affect de tristesse et de séparer l’affect dépressif, comme passion du narcissisme, du désêtre en questionnant le rapport du sujet à la jouissance, là où la libido, dans l’au-delà du principe de plaisir freudien, est indissociable de la mort. Cette clinique différentielle, Lacan la resserre à la pointe de son enseignement. Elle s’avère précieuse pour questionner la souffrance d’être et, plus spécifiquement la dépression névrotique. Elle est essentielle pour interroger l’exaltation maniaque ainsi que la douleur d’exister, cette pure culture de la pulsion de mort dans la psychose mélancolique ainsi que la logique des sacrifices et crimes propitiatoires qui peuvent en résulter. Elle permet ainsi de départir, au champ des épisodes dépressifs et des troubles de l’humeur, la dépression réactionnelle, la déprime passagère, la mélancolie simple et délirante, l’hypomanie, la psychose maniaco-dépressive, etc. Ainsi les travaux de ce colloque seront l’occasion de questionner la variété des phénomènes de l’humeur et d’examiner leur lot de manifestations contemporaines comme la souffrance au travail, le burn-out parental, le deuil pathologique, la clinique de la solitude, de l’isolement, de l’enfermement, la clinique de l’exil et du dé-racinement, les conséquences psychologiques de la covid, la clinique de la douleur chronique, la dépression du sujet âgé, les usages addictifs et leurs effets dépressifs, la clinique des passages à l’acte suicidaire. Faisant aussi appel aux arts (cinéma, littérature, etc.), les rapports entre dépression et création seront aussi interrogés. Enfin, la présentation clinique de cas sera un moment crucial du colloque, cas qui s’attacheront à transmettre des repères conceptuels, éthiques et cliniques en psychopathologie et clinique psychanalytique pour penser les logiques de traitement des affects dépressifs. S’adressant aux professionnels, chercheurs et étudiants, ce colloque international interdisciplinaire organisé par le Laboratoire RPpsy mettra ainsi au travail des questions cliniques, institutionnelles, sociales et politiques qui possèdent une actualité indéniable. Responsables scientifiques du colloque : Myriam Chérel et Romuald Hamon